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6 août 2010

Edgar HILSENRATH : Fuck America

Hilsenrath___Fuck_America

***

(par Alexandra)
Fuck America” est le titre que l’on a ajouté, probablement pour des raisons commerciales, à la nouvelle édition  de ce roman d’Edgar Hilsenrath, qui pour sa 1ère édition en 1980 ne s’intitulait que “Bronskys Geständnis», c.à.d. «L’aveu de Bronsky». La traduction française n’a finalement retenu que ce seul «Fuck America»… il est vrai que ce titre a de quoi séduire à notre époque.
Hilsenrath, quasiment inconnu en France, est une sorte de Bukowski allemand, d’origine juive. Pendant longtemps, il a eu beaucoup de mal à se faire éditer en Allemagne. Il a fallu qu’il devienne une célébrité aux Etats-Unis, catégorie ‘littérature de l’Holocaust’, pour que les Allemands acceptent enfin son style souvent brutal, vulgaire voire obscène, très noir, d’un grand cynisme

Dans »Fuck America», il reprend sous forme romancée ses propres expériences d’immigré. Jakob Bronsky, personnage principal et narrateur, est son double. Il croupit à New York sans un sou, au milieu d’autres immigrants juifs miteux, de clochards, de prostitués, n’hésitant pas, pour se nourrir, à exercer toutes sortes de petits boulots minables, de voler, d’escroquer… Parallèlement, Bronsky  écrit un livre qu’il intitule «Le branleur» et qui raconte à peu près la même chose que le roman «Fuck America» : la vie d’un juif qui a survécu à l’Holocaust et qui vient chercher en Amérique la Terre promise. Au lieu de celle-ci, il ne trouve qu’un cauchemar
La critique des Etats-Unis est acerbe, à commencer par la demande de visas envoyée par le père de Bronsky au Consul Général Américain en 1938, au lendemain de la nuit de cristal. Dans sa réponse (un an plus tard), Hilsenrath fait dire au Consul tout haut ce que beaucoup pensaient très bas : «Des bâtards juifs comme vous, nous en avons déjà suffisamment en Amérique. Ils encombrent nos universités et se ruent sur les plus hautes fonctions sans plus se gêner.»
Au chapitre 6, des immigrés juifs discutent de la politique américaine :

«Dans ce pays, un intellectuel n’a aucune chance de devenir président », […]
«Vous avez vu,  juste avant ces élections, ces affiches d’Eisenhower souriant de toutes ses dents ? Eisenhower est devenu président parce qu’il souriait mieux que cet intellectuel de Stevenson. C’est le plus beau sourire qui devient président dans ce pays. C’est comme ça.»

Au chapitre 9, Bronsky, aigri de ne pouvoir rencontrer des filles autres que des putes, il note dans son journal : «Si toi, Jakob Bronsky, tu devais rencontrer une telle fille, elle se posera les questions suivantes :  […] Que sait-il, Jakob Bronsky, de l’american way of life ?
Sait-il, Jakob Bronsky, que seule la réussite compte, et rien d’autre? Est-ce un mec qui écrase l’autre sans le moindre scrupule tout en croyant au bon Dieu ? Sait-il que notre monde est un monde paradisiaque ? Croit-il, Jakob Bronsky, à l’infaillibilité de notre système ? Connaît-il les idéaux de nos ancêtres, ceux arrivés avec le Mayflower, et que pense-t-il de la culture Coca-Cola ? Croit-il, Jakob Bronsky, au rêve américain? Va-t-il posséder un jour une voiture flambant neuve, des costumes de prix, une maison ou un appartement à lui dans les quartiers en vogue de l’East-side ? […] Claquera-t-il cent balles en une soirée juste pour me montrer qu’il en a les moyens ? M’invitera-t-il à Las Vegas ? Croit-il, Jakob Bronsky, à l’intérêt de devenir membre d’un country club et que fait-il pour y parvenir ? Va-t-il falloir que je subisse sa bite ? Est-ce que ça vaut le coup ? Car, au bout du compte, je voudrais me marier un jour, je voudrais aussi divorcer pour encaisser ma pension alimentaire… »
A partir du chapitre 21, le style du roman change du tout au tout. Bronsky passe du quotidien new-yorkais à l’histoire de la shoa, puis à celle de sa famille qui a survécu, pour finir par la sienne propre, celle de Jakob Bronsky qui a sombré dans la dépression avant d’en sortir par l’écriture. Sans sentimentalité aucune, de manière très neutre, des faits

A la fin du Livre, Bronsky donne une interview imaginaire (qui est peut-être une interview réelle de Hilsenrath ?) à la télévision allemande. Quand le journaliste lui demande s’il a quelque chose à dire au peuple allemand, il répond :
- «Aux vieux, je n’ai rien à dire. Ils savent
- «Et aux jeunes
- «Je voudrais dire aux jeunes : lisez mon livre
- «Votre livre sur le ghetto juif
- «Mon livre contre la violence et la barbarie
- «LE BRANLEUR
- «LE BRANLEUR

Certes, ce livre n’est pas drôle, le style n’est pas engageant, l’univers est répugnant, il n’y a pas de bons sentiments. Mais pour sa volonté de dénoncer le manque d'humanité partout où il se trouve, je pense qu’il vaut le coup d’être lu !

(traduit de l’allemand par Jörg STICKAN et paru en format poche dans la collection POINTS)

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