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21 juillet 2008

Yu Hua : Brothers

brothers(par Alexandra)
Yu Hua, un auteur que j’ai découvert avec ce roman, est un authentique Chinois de Chine, vivant en Chine, édité et lu en Chine (il est même auteur de bestseller !). Nous pouvons donc imaginer que le regard qu’il porte sur son pays n’est pas déformé par l’exil (clin d’œil affectueux à Gao Xingjian et Dai Sijie) et que sa vision des choses représente une vision de « l’intérieur »…
« Brothers » (c’est le titre original) est un pavé de 700 pages (en grand format Actes Sud !) qui raconte l’histoire de deux (faux) frères que tout oppose,  Song Gang et Li Guangtou, depuis leur enfance pendant la Révolution Culturelle jusqu’à notre époque (le roman est sorti en 2006 en Chine), et à travers leur histoire privé l’évolution de la Chine de ces quarante dernières années. L’action se situe dans un petit bourg de 30 000 habitants, « notre petit bourg des Liu », où tout le monde semble connaître tout le monde, et où la mentalité est restée plutôt paysanne…

C’est un roman que je qualifierais de ‘burlesque’. Il me rappelle énormément les films de la période « yougo » de Kusturica… on trouve des épisodes complètement saugrenus, plein d’humour « gras « , comme celui qui, au début du livre,  raconte la mort « tragique » du père de Li Guangtou qui s’est noyé dans « une fosse à merde », dans laquelle il est tombé par mégarde pendant une de ses tentatives de mater les fesses d’une fille… et tel père tel fils,  Li Guangtou fera de même, mais au lieu de se noyer il se fera prendre … et bâtira toute sa réputation et la moitié de sa vie sur ce fait… cela pourrait être drôle, mais le hic (à mon goût) est que c’est raconté en long, en large et en travers, et encore et encore et encore… et c’est lassant ! Il s’agit en fait d’un procédé de style de ce roman. C’est ainsi que des anecdotes de la vie des enfants s’étalent sur des dizaines de pages en reprenant inlassablement les mêmes faits … il faut se forcer parfois pour ne pas abandonner !
Par contre, si l’on se force un peu, on est gratifié aussi, là où le burlesque se transforme en tragique. On apprend beaucoup sur les horreurs quotidiennes de la Révolution Culturelle vues par les deux gamins dont le père instituteur est accusé d’être un  « propriétaire foncier », emprisonné et torturé à mort… tout en faisant semblant jusqu’au bout de participer à un jeu pour cacher la cruelle vérité aux enfants. Dure, très dure, la description de l’indifférence générale dans laquelle les « masses révolutionnaires» (c’est ainsi que l’auteur appelle ses compatriotes) assistent à ces séances de « lutte-critique», sûres d’être du bon côté et hors d’atteinte, pour se retrouver victimes le lendemain sans comprendre pourquoi … encore une révolution qui a mangé ses enfants ! Très touchants, les passages qui mettent en scène des épouses où mères qui refusent de plier devant la vindicte populaire et affrontent dignement la mort ou la folie…
Au fur et à mesure que nos « brothers » vieillissent, le récit gagne (à mon très humble avis) en intérêt. Les deux frères tombent amoureux de la même fille, Lin Hong, mais tandis que Song Gang l’aime en secret, Li Guangtou lui fait la cour au grand jour, c’est le moins qu’on puisse dire !
Extrait (pour donner un aperçu du comique qui caractérise le roman) :
Li se rend chez Lin Hong pour la convaincre de l’épouser. Pour l’accompagner, il a rassemblé une drôle de « troupe de soupirants » censée lui prêter main forte…

«Li Guangtou passa à l’offensive et, dès l’après-midi, ses troupes étaient sous les murs de la ville. Flanqué de ses quatorze fidèles boiteux, idiots, aveugles et sourds, il arpenta les rues de notre bourg des Liu, et les nombreux spectateurs qui assistèrent à cette joyeuse parade s’en firent mal au ventre et s’éraillèrent la voix de rire. Li Guangtou, craignant que les deux boiteux, qui se déplaçaient trop lentement, ne se laissent distancer, les avait placés en tête de cortège. Si bien que toute la troupe des soupirants était sans arrêt gênée dans sa progression, et qu’elle avançait en ordre dispersé. Les deux boiteux qui ouvraient la marche penchaient l’un à gauche, l’autre à droite, et au bout d’un moment le premier se retrouva à l’extrême gauche de la rue, et le second à l’extrême droite. De sorte que les trois idiots qui venaient derrière ne savaient pas qui suivre, effectuant quelques pas vers la gauche pour se rabattre immédiatement vers la droite. Bras dessus, bras dessous, ils faisaient bloc, et comme ils oscillaient continuellement de gauche à droite et de droite à gauche, les quatre aveugles qui les suivaient en se guidant avec leur perche de bambou se cognèrent violemment contre eux et tombèrent par terre. Quand ils se furent relevés, un seul continua à avancer, deux autres partirent en sens inverse, et le dernier se dirigea vers le côté de la rue où il fut arrêté par un platane […] Li Guangtou  ne savait plus où donner de la tête. A peine avait-il ramené les deux aveugles repartis en arrière que celui qui marchait dans la bonne direction fut une nouvelle fois renversé par  les trois boiteux tandis que le quatrième, à côté de son platane, continuait à appeler au secours. […] Ce fut notre spectacle curieux d’aujourd’hui et d’autrefois. Les gens couraient pour se faire part de la nouvelle […] Dans les magasins, les vendeurs avaient sollicité une autorisation de sortie, et dans les usines un nombre encore plus grand d’ouvriers s’étaient éclipsés. La foule grossissait dans la rue. Les masses de notre bourg des Liu jouaient des coudes, et telles des ondes qui se forment autour des tourbillons ils entouraient la troupe des soupirants de Li Guangtou … »

Bref, Lin Hong épouse finalement Song Gang, et Li Guangtou lui offre « sa vasectomie » en guise de cadeau de mariage…

En peu de temps, on voit la Chine changer, passer de la bicyclette Forever à la Mercedes noire et la BMW blanche ; passer au capitalisme sauvage dont Li Guangtou deviendra le porte-drapeau et son frère Song Gang le laissé-pour-compte. Tout est permis tant que cela rapporte ! Li Guangtou veut montrer une Chine moderne à ses clients étrangers … qu’à cela ne tienne, il fait raser le bourg entier et le reconstruire tout en immeubles clinquants et avenues au carré… il faut attirer du monde pour faire des affaires … il organise le « Premier Grand Concours national des miss vierges » et jette ainsi les bases de l’économie de l’hymen … tout cela assaisonné de nombreuses scènes grotesques, cocasses et de la pire grivoiserie.
J'ai effectivement beaucoup rigolé. C'est vraiment très drôle. Je ne suis toutefois pas sûre quant à savoir comment je dois interpréter tout cela... est-ce véritablement la Chine nouvelle qui pointe sous le comique grossier. Il s'agit d'une parodie, certes, mais jusqu'à quel point? Qu'est-il advenu du communisme? Est-ce que des ascensions aussi irrésistibles que celle de Li Guangtou sont réellement possibles aujourd'hui en Chine? Je ne connais pas assez ce pays pour en juger, mais si la réponse doit être affirmative, il y a de quoi prendre peur à la lecture de ce livre...
                                                                                         (paru chez ACTES SUD)

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Commentaires
F
Je partage votre enthousiasme pour ce roman, et le passage que vous citez est aussi l'un de mes préférés : j'ai beaucoup ri en le lisant dans le métro provoquant la surprise des personnes autour de moi ! J'ai découvert ce roman tout récemment lors d'une rencontre avec les deux traducteurs à la BnF. Amicalement
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