Philipp KERR : La Trilogie Berlinoise
Tome 1 : L’Été de cristal
Tome 2 : La Pâle Figure
Tome 3 : Un requiem allemand
(par Alexandra)
Enfin ! Je suis arrivée au bout des 1015 pages de ce pavé ! Non sans mal, j’avoue, car l’intrigue prend parfois quelques détours ! Mais quelques mots d’abord sur cette « trilogie »…
Philipp Kerr est Ecossais d’origine, et il semble partager avec ses compatriotes britanniques ce goût pour tout ce qui touche à l’histoire nazie. Il a donc choisi de situer cette série de polars dans le Berlin de l’année 1936 pour le 1er tome, de 1938 pour le 2è, et celui de 1947/48 pour le 3ème, encore que ce dernier se passe en vérité bien plus à Vienne qu’à Berlin…
Notre détective s’appelle Bernhard Gunther, «Bernie» pour les intimes. En Berlinois qui se respecte, il a une «grande gueule» (en Allemagne, les Berlinois sont connus pour leur «Schnauze» !). Flic respecté et efficace à la police criminelle jusqu’en 1933, il choisit de quitter celle-ci et de devenir enquêteur privé pour éviter d’avoir à adhérer au parti. Ce choix est moins guidé par des convictions politiques que par un attachement viscéral à son indépendance d’esprit et son refus de se soumettre sans discussion aux nouveaux détenteurs du pouvoir.
Chacune des trois enquêtes de cette trilogie (que je ne révélerai pas ici) le confronte pourtant aux machinations politiques. Dans chacune, il a affaire directement à de grands noms du régime nazi (Göring, Himmler, Heydrich, Julius Streicher, Heinrich Müller…) et touche à des sujets sensibles : luttes de pouvoir intestines, théories raciales, doctrines ésotériques, homosexualité, handicap mental, dénazification et récupération de criminels de guerre par les services secrets alliés après la guerre…
Le cadre de ces romans est donc éminemment historique: les Jeux Olympiques en 1936, les accords de Munich, l’annexion des Sudètes et la Nuit de Cristal en 1938 ainsi que la Guerre Froide et le blocus de Berlin en 1948. A mon avis, l’intérêt du roman réside dans la peinture de ces moments historiques; peinture qui témoigne d’une très bonne connaissance non seulement de la «grande» histoire, mais aussi de la vie quotidienne des «petits» Berlinois (ou Viennois) et qui apparaît le plus souvent dans des réflexions ou descriptions tout à fait secondaires. Très convaincant de ce point de vue : la description de Berlin en ruines (tome 3), avec partout ces femmes en train de déblayer les gravats, ces «Trümmerfrauen» , les «femmes des décombres» qui, sans attendre le retour des hommes encore vivants des camps de prisonniers, ont entrepris avec courage la reconstruction du pays …
Ce qui m’a néanmoins gêné, ce sont de nombreuses invraisemblances: connaissant les méthodes d’interrogatoire et de torture de la Gestapo, il paraît tout de même plus que bizarre qu’il faille un détective privé comme notre Bernie pour résoudre certaines affaires d’ordre criminel… mais bon, sans affaire, pas d’enquête, donc pas de roman de détective… que l’auteur soit pardonné !
Par contre, je n’ai guère apprécié une certaine misogynie qui transforme quasiment toutes les femmes en (dans le meilleur des cas) femmes fatales sinon (disons-le) putes ou assimilées comme ces bonnes épouses allemandes dépeintes comme racoleuses de GI… pas un seul véritable personnage de femme dépeint autrement que par la taille de ses seins, son cul, ses poils pubiens et son comportement de chatte en chaleur… très moyen, tout cela !
Ce qui m’a également mise mal à l’aise, c’est de me retrouver face à des personnages ayant vraiment existé et qui deviennent protagonistes du roman. M’assoir à une table tournante pour implorer les esprits en compagnie de Heinrich Himmler… non merci, je ne peux pas ! (Si vous voulez savoir pourquoi, lisez le commentaire que j’ai écrit sur «La part de l’autre » de Erich-Emmanuel Schmitt).
Pour finir, précisons quand même que cette trilogie s’améliore en allant, qu’il s’agisse de l’intrigue, de la psychologie des personnages (sauf féminins, vous l’aurez compris) ou de la langue (assez primitive au début!). Personnellement, j’ai de loin préféré le dernier, «Un requiem allemand», lisible d’ailleurs même sans passer par les deux précédents…
(traduit de l’anglais par Gilles Berton et paru en format poche chez LDP)